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  1. Dans quels tableaux, et dans elles songs, intervient-il ?
  2. Le thème des Songs où intervient Peachum
  3. Montage : les constituants du personnage Peachum
  4. Un tableau
  5. Un autre tableau

 

Dans quels tableaux, et dans quels songs, Peachum intervient–il ?

 

I,1 Avec Filch et Célia Peachum

I, 3 Avec Célia et sa fille Polly

II, 6

III, 7 Avec mendiants, putains, Jenny, Filch, Brown, Mackie

III, 9 Avec sa femme et sa fille, Mackie, les hommes de Mackie,
        Constables (+Smith), Brown, Matthias et Jacob, Polly

 

Le thème des songs de Peachum

 

N° 3 (I, tableau 1) à Choral matinal de Peachum. Parodie de choral d’église.
Appel aux « chrétiens », hypocrite et menaçant, en vue du versement d’une « aumône ».
Prélude au discours didactique (sémiologique) sur les techniques susceptibles de disposer le public à la générosité.

N°4 (I, tableau 1)à Song « d’au lieu-de ».  Avec sa femme, Monsieur Peachum déplore le sentimentalisme de la jeunesse. Vision sarcastique des épanchements romantiques. Ici encore, Peachum se montre sémiologue.

N° 10 (I, Finale) à Premier finale de 4 sous.  Sur l'instabilité des choses humaines. 
Avec sa femme Célia Peachum et sa fille Polly Peachum, Jonathan Jeremiah chante :

« Sur cette triste planète (…), l’homme est brutal et bas.
(…) Bien sûr je n’ai que trop raison :
le monde est pauvre, l’homme mauvais ».

N°16 (III, Tableau 7) à Chant de la vanité de l’effort humain (de l’inadéquation de toute entreprise humaine).
Peachum expose sa vision noire de l’espèce humaine :

« Car, hélas, pour cette vie,
L’Homme n’est pas assez malin :
Partout ruse et fourberie,
Et lui ne le remarque jamais ».

N° 20 à Troisième finale de 4 sous. Un choral, comme en I,1.
C’est à Peachum qu’il revient d’énoncer la « morale » qui conclut la pièce.

 

Les constituants du personnage Jonathan Jeremiah Peachum

 

Dans L'Opéra de quat'sous, Jonathan Jeremiah Peachum est tout à la fois

Le personnage de Jonathan Jeremiah Peachum forme un montage subtil et très riche de rôles codés et de discours.

A la tradition comique, il reprend le rôle comique du barbon : père autoritaire, cupide, et tenant d’une morale sexuelle rétrograde.

Il est également à la fois chef de bande et traître.

Cynique, cruel et sans scrupule, il n’hésitera pas à dénoncer à la police Mackie Messer, en sachant qu’il l’envoie à la mort. A John Gay Brecht a emprunté un nom, Peach’em (« Dénonce-les »[1]), qui est une allusion à son rôle d’indicateur de la police. Le Peachum du Beggar’s Opera évoquait directement un personnage célèbre en Angleterre au XVIIIème siècle, Jonathan Wild, figure de la pègre londonienne qui vivait principalement de récompenses pour dénonciation[2]. Au centre de la pièce de Gay, Peachum alliait respectabilité et duplicité cynique[3]. C’est typiquement un « fripon » au sens bakhtinien[4].

Barbon et traître : ces deux rôles se retrouvent dans le Beggar’s Opera.

Mais le personnage de Brecht est bien plus élaboré encore.

 

Peachum est aussi un représentant de la classe dominante contemporaine, tout simplement un bourgeois. Il se désigne, ironiquement mais clairement, comme chef d’entreprise et à ce titre, formule quantité de considérations sur la gestion et de marketing. On sait qu’un des thèmes principaux de L'Opéra de quat'sous est la permutation possible entre le bourgeois et le truand.

Au croisement du bourgeois et du barbon, son discours est en fait typiquement celui d'un bourgeois weimarien, un conservateur de droite de la république de Weimar.

«  Au lendemain de la guerre, l'homme de droite souffrait de violents accès de nostalgie morale et culturelle »,

indique l'historien Walter LAQUEUR. C'est bien cette nostalgie qui inspire les considérations pédagogiques de Peachum et son épouse dans les tableaux 2 et 3, tout particulièrement dans le song d'Au lieu de, qui déplore les débordements de la jeunesse contemporaine.

Mais la pièce de Brecht-Hauptmann nous présente encore un tout autre Peachum, subtil sémiologue, maître des langages sociaux, théoricien notamment du costume théâtral et du discours amoureux [5]. Quant à son « choral matinal » [n°3], c'est un très habile pastiche (y compris musicalement) de sermon culpabilisateur dans la tradition chrétienne.

Peachum est aussi bouffon, rebelle et provocateur par rapport à l’autorité (en l'occurrence Tiger Brown, chef de la police, cf. Tableau 6, p.61 sq.). Fort de son pouvoir d’influence, il n’hésitera pas à gâcher les fêtes du couronnement en lançant les Pauvres à l’assaut des dignitaires du régime.

Enfin, dans la perspective brechtienne : en tant que sémiologue, agitateur, et mendiant contestataire de toute autorité, il est aussi, d’une certaine façon, une figure de l’Ecrivain.

 

Un tableau - Quelques traits du personnage de Peachum

Rôles traditionnels

Barbon

Càd : Morale réactionnaire

 

Vs Mackie

 

Càd : anti-sexe
(et critique du romantisme mièvre)

 = aussi bourgeois weimarien

Cf chez Molière : Arnolphe (L’école des femmes)

 

Père possessif

 

 

 

Traître

Son nom

 

 

 

 

Dénonciation de Mackie
contre versement d’une prime

 

 

 

Portrait d’un dirigeant actuel

Capitaliste sans scrupule (chef d’entreprise/Chef de bande)

Souci de la « gestion »
Brutal et autoritaire
Exploite la misère
Impitoyable et mesquin

Des personnages de ce type se retrouveront par exemple dans Sainte Jeanne des Abattoirs ou La résistible ascension d’Arturo Ui

 

 

« Roi des mendiants »

Contestataire politique, agitateur

Provocation et dénonciation de Brown.
du couronnement par les mendiants

 

 

Philosophe
(développe sa vision de l’espèce humaine)

Pessimiste

Exemple : dernier song de l’acte I

=+/- Brecht

 

Sémiologue
(et artiste) : critique sociale

Discours théorique sur la propagande (I ;1)

 

=+/-Brecht

 

 

Et le marketing (I ;1)

 

 

 

Homme de culture

Culture historique et politique
Culture biblique
Grand amateur de Shakespeare

Un exemple : l’allusion à Semiramis (II,6)

 

 

 

 

Un autre tableau

 

 

 

 

[1] Le verbe « peach » en argot signifie « informer contre », ou « trahir», comme l’indique la préface  de Bryan Loughrey et T.O. Readwell dans John GAY, The Beggar’s Opera, Londres, Penguin Book, 1986, page 21.

[2] Entre 120 et 150 gangsters furent ainsi dénoncés par lui contre récompense et envoyés soit en prison soit à la mort. Ibidem, pages 19-20.

[3] Comme l’expliquent Loughrey et Readwell, le personnage de Peachum fut utilisé par Gay comme « the governing metaphor for his vision of the society of his time » (Ibidem, p.21).

[4] Cf « Fonctions du fripon, du bouffon et du sot dans le roman », dans  Esthétique et théorie du roman.

[5] Cet aspect du personnage est absent du Beggar’s Opera.