- Dans quels tableaux, et dans elles songs, intervient-il ?
- Le thème des Songs où intervient Peachum
- Montage : les constituants du personnage Peachum
- Un tableau
- Un autre tableau
Dans quels tableaux, et dans quels songs, Peachum intervient–il ?
I,1 Avec Filch et Célia Peachum
- Choral Matinal (n° 3)
- Adresse au Public
- Discours sur l’entreprise, engagement de Filch
- Vie privée : il apprend la relation de Mac et Polly
- Song d’Au lieu de (n° 4)
I, 3 Avec Célia et sa fille Polly
- Vie privée : il apprend le mariage de Polly.
- Entreprise : il réprime la contestation des mendiants
- Vie privée : il se décide à dénoncer Mackie.
- Premier finale (Sur l’instabilité des choses humaines) : avec Polly et Célia Peachum. (n° 10)
II, 6
- À la fin du tableau : il accuse Brown de corruption, le menace et le contraint à poursuivre Mackie en fuite.
III, 7 Avec mendiants, putains, Jenny, Filch, Brown, Mackie
- Entreprise/Politique : il dirige la répétition des mendiants pour la manifestation du couronnement
- Privé : il envoie Filch prévenir la police que Mackie se trouve chez la putain Suky Tawdry
- Entreprise/Politique : poursuit la répétition de la manifestation. Discours aux mendiants
- Politique : Avec Brown : accusations de corruption, contestation de son autorité, et menace de subversion.
- Chant de la vanité de l'effort humain (n° 16)
III, 9 Avec sa femme et sa fille, Mackie, les hommes de Mackie,
Constables (+Smith), Brown, Matthias et Jacob, Polly
- Il entre dans la cellule où Mackie doit être mis à mort
- Vie privée : adresse à Mackie ; il se réjouit de sa mort prochaine.
- Il conclut le tableau avec une adresse au public (comme dans I,1) : annonce du dénouement n° 2
- Troisième finale de quat’sous (n° 20)
où il entonne le Choral des plus déshérités des déshérités (« Choral der Ärmsten der Armen »)
Le thème des songs de Peachum
N° 3 (I, tableau 1) à Choral matinal de Peachum. Parodie de choral d’église.
Appel aux « chrétiens », hypocrite et menaçant, en vue du versement d’une « aumône ».
Prélude au discours didactique (sémiologique) sur les techniques susceptibles de disposer le public à la générosité.
N°4 (I, tableau 1)à Song « d’au lieu-de ». Avec sa femme, Monsieur Peachum déplore le sentimentalisme de la jeunesse. Vision sarcastique des épanchements romantiques. Ici encore, Peachum se montre sémiologue.
N° 10 (I, Finale) à Premier finale de 4 sous. Sur l'instabilité des choses humaines.
Avec sa femme Célia Peachum et sa fille Polly Peachum, Jonathan Jeremiah chante :
« Sur cette triste planète (…), l’homme est brutal et bas.
(…) Bien sûr je n’ai que trop raison :
le monde est pauvre, l’homme mauvais ».
N°16 (III, Tableau 7) à Chant de la vanité de l’effort humain (de l’inadéquation de toute entreprise humaine).
Peachum expose sa vision noire de l’espèce humaine :
« Car, hélas, pour cette vie,
L’Homme n’est pas assez malin :
Partout ruse et fourberie,
Et lui ne le remarque jamais ».
N° 20 à Troisième finale de 4 sous. Un choral, comme en I,1.
C’est à Peachum qu’il revient d’énoncer la « morale » qui conclut la pièce.
Les constituants du personnage Jonathan Jeremiah Peachum
Dans L'Opéra de quat'sous, Jonathan Jeremiah Peachum est tout à la fois
- Curé
- Chef d'entreprise / Publiciste
- Chef de bande
- Hypocrite cynique (cf Dom Juan)
- Agitateur révolutionnaire
- Vieillard moralisateur
- Père possessif
- Philosophe et sémiologue
- Délateur sans scrupule
- Politicien cynique
- Metteur en scène – Homme de théâtre
- Et le plus cultivé des personnages
Le personnage de Jonathan Jeremiah Peachum forme un montage subtil et très riche de rôles codés et de discours.
A la tradition comique, il reprend le rôle comique du barbon : père autoritaire, cupide, et tenant d’une morale sexuelle rétrograde.
Il est également à la fois chef de bande et traître.
Cynique, cruel et sans scrupule, il n’hésitera pas à dénoncer à la police Mackie Messer, en sachant qu’il l’envoie à la mort. A John Gay Brecht a emprunté un nom, Peach’em (« Dénonce-les »[1]), qui est une allusion à son rôle d’indicateur de la police. Le Peachum du Beggar’s Opera évoquait directement un personnage célèbre en Angleterre au XVIIIème siècle, Jonathan Wild, figure de la pègre londonienne qui vivait principalement de récompenses pour dénonciation[2]. Au centre de la pièce de Gay, Peachum alliait respectabilité et duplicité cynique[3]. C’est typiquement un « fripon » au sens bakhtinien[4].
Barbon et traître : ces deux rôles se retrouvent dans le Beggar’s Opera.
Mais le personnage de Brecht est bien plus élaboré encore.
Peachum est aussi un représentant de la classe dominante contemporaine, tout simplement un bourgeois. Il se désigne, ironiquement mais clairement, comme chef d’entreprise et à ce titre, formule quantité de considérations sur la gestion et de marketing. On sait qu’un des thèmes principaux de L'Opéra de quat'sous est la permutation possible entre le bourgeois et le truand.
Au croisement du bourgeois et du barbon, son discours est en fait typiquement celui d'un bourgeois weimarien, un conservateur de droite de la république de Weimar.
« Au lendemain de la guerre, l'homme de droite souffrait de violents accès de nostalgie morale et culturelle »,
indique l'historien Walter LAQUEUR. C'est bien cette nostalgie qui inspire les considérations pédagogiques de Peachum et son épouse dans les tableaux 2 et 3, tout particulièrement dans le song d'Au lieu de, qui déplore les débordements de la jeunesse contemporaine.
Mais la pièce de Brecht-Hauptmann nous présente encore un tout autre Peachum, subtil sémiologue, maître des langages sociaux, théoricien notamment du costume théâtral et du discours amoureux [5]. Quant à son « choral matinal » [n°3], c'est un très habile pastiche (y compris musicalement) de sermon culpabilisateur dans la tradition chrétienne.
Peachum est aussi bouffon, rebelle et provocateur par rapport à l’autorité (en l'occurrence Tiger Brown, chef de la police, cf. Tableau 6, p.61 sq.). Fort de son pouvoir d’influence, il n’hésitera pas à gâcher les fêtes du couronnement en lançant les Pauvres à l’assaut des dignitaires du régime.
Enfin, dans la perspective brechtienne : en tant que sémiologue, agitateur, et mendiant contestataire de toute autorité, il est aussi, d’une certaine façon, une figure de l’Ecrivain.
Un tableau - Quelques traits du personnage de Peachum
Rôles traditionnels |
Barbon |
Càd : Morale réactionnaire |
|
Vs Mackie |
|
Càd : anti-sexe |
= aussi bourgeois weimarien |
Cf chez Molière : Arnolphe (L’école des femmes) |
|
|
Père possessif |
|
|
|
|
Traître |
Son nom |
|
|
|
|
Dénonciation de Mackie |
|
|
|
||||
Portrait d’un dirigeant actuel |
Capitaliste sans scrupule (chef d’entreprise/Chef de bande) |
Souci de la « gestion » |
Des personnages de ce type se retrouveront par exemple dans Sainte Jeanne des Abattoirs ou La résistible ascension d’Arturo Ui |
|
|
||||
« Roi des mendiants » |
Contestataire politique, agitateur |
Provocation et dénonciation de Brown. |
|
|
Philosophe |
Pessimiste |
Exemple : dernier song de l’acte I |
=+/- Brecht |
|
Sémiologue |
Discours théorique sur la propagande (I ;1) |
|
=+/-Brecht |
|
|
Et le marketing (I ;1) |
|
|
|
Homme de culture |
Culture historique et politique |
Un exemple : l’allusion à Semiramis (II,6) |
|
|
Un autre tableau
[1] Le verbe « peach » en argot signifie « informer contre », ou « trahir», comme l’indique la préface de Bryan Loughrey et T.O. Readwell dans John GAY, The Beggar’s Opera, Londres, Penguin Book, 1986, page 21.
[2] Entre 120 et 150 gangsters furent ainsi dénoncés par lui contre récompense et envoyés soit en prison soit à la mort. Ibidem, pages 19-20.
[3] Comme l’expliquent Loughrey et Readwell, le personnage de Peachum fut utilisé par Gay comme « the governing metaphor for his vision of the society of his time » (Ibidem, p.21).
[4] Cf « Fonctions du fripon, du bouffon et du sot dans le roman », dans Esthétique et théorie du roman.
[5] Cet aspect du personnage est absent du Beggar’s Opera.